3 questions à Martin Martinot, infectiologue à Colmar

Jeudi 10 Février 2022
3 questions à Martin Martinot, chef du service d'infectiologie, hôpitaux de Colmar, à propos de SMIT, architecture et pandémie…
Comment les hôpitaux de Colmar ont-ils fait face à la pandémie, du point de vue de l'organisation des locaux ?
Le service d'infectiologie des hôpitaux de Colmar est situé dans un ancien bâtiment. Dès début mars 2020, les patients ont commencé à arriver en nombre et faire suspecter un risque de transmission aéroportée. Un nouveau bâtiment de l'hôpital, construit pour l'accueil mère-enfant mais dont un étage n'était pas encore investi, a été réquisitionné pour l'accueil de ces patients. L'intérêt de ce service était un renouvellement d'air amélioré, de grandes chambres, de larges couloirs et une localisation proche des réanimations.

Mais la première vague a tout emporté, avec 600 patients admis en un mois, pour cet étage avec une capacité de l'ordre de 100 lits. Il a fallu très rapidement mobiliser plus de lits en ouvrant en urgence des unités covid au sein d'autres services, les unes après les autres, puis des bâtiments covid dédiés et finalement une grande partie de l'établissement devenu exclusivement tout covid. Ces regroupements successifs ont posé très tôt la question du contrôle de la circulation du virus entre les différentes zones et du risque de perte de chance pour les patients, notamment non covid. 

A la deuxième vague, le nouveau bâtiment mère-enfant n'était plus accessible et les patients covid ont été accueillis dans les anciens locaux. Le renouvellement d'air était problématique et ce, malgré une tentative avec les services techniques de majorer l'extraction d'air via les VMC. Des éléments pratiques au sein de ces bâtiments anciens se sont vite posés, comme le froid de l'hiver empêchant d'ouvrir aussi largement que nécessaire les fenêtres. Le service d'infectiologie avait 30 lits occupés par des patients covid, et une part importante du personnel a été contaminée ce qui n'avait pas été le cas lors de la 1ère vague.

Par ailleurs, malgré un dépistage des patients par amplification génique rapide mis en place très tôt dans le service d'urgence, ce dernier n'avait pas les moyens, pour des raisons architecturales, de séparer hermétiquement les patients des filières covid et non-covid. Cette problématique s'est retrouvée dans les services de médecine, avec la présence de populations covid et non-covid au sein de  bâtiments anciens ; et ce, malgré la mise en place rapide des patients diagnostiqués covid en service de cohorting. La survenue de nombreux cas et clusters de covid au sein des unités non-covid, tant chez les patients que chez le personnel, a marqué la 2ème partie de cette 2ème vague (fin 2020 et 2021).  

Au creux entre les vagues, avec la baisse du nombre de cas, le SMIT s'est organisé en unité mixte (covid et non-covid) avec l'installation de cloisons permettant une séparation, au moins géographique, entre secteur covid et non-covid. L'accueil en SMIT dans ce bâtiment ancien, dans le secteur non-covid, a par prudence été restreint aux patients vaccinés et non immunodéprimés, les autres patients, non-covid et non vaccinés ou immunodéprimés, étant orientés vers d'autres services n'admettant pas de patients covid. Toutefois, durant toutes les vagues, un petit nombre de patients covid+ relevant d'une prise en charge très spécifique restait dans le service à même de les traiter. Des patients issus de chirurgie ont néanmoins pu être spécifiquement hospitalisés en unité covid (sous réserve de l'absence de perte de chance), avec organisation et circuit spécifique en post-opératoire.

Les plans préexistants – notamment le volet grippe du plan blanc, configuré sur un schéma « gouttelettes contact » – n'ont pas répondu aux besoins. Tout au long de la période, ce sont les échanges professionnels – avec les équipes médicales des unités covid, de réanimation et du SAU, de microbiologie et d'hygiène, et les services techniques en cellule de crise, mais aussi lors de formations régionales/nationales (groupe reacting/coreb/coclico) – qui ont permis de mettre en place des solutions.
Comment cela a-t-il modifié votre point de vue ?
Notre service de maladies infectieuses avait déjà engagé avec la direction de l'établissement, avant la pandémie, une réflexion pour une rénovation architecturale du SMIT. La brutalité de la crise a permis de prendre conscience de la rapidité avec laquelle il peut être nécessaire d'organiser l'accueil simultané de patients infectés et non infectés (ou contagieux et non contagieux), tant en termes de place que de personnel. Les problématiques liées à la circulation des flux d'air sont devenues essentielles : au niveau des chambres, des services, des bâtiments, incluant l'emplacement des fenêtres, la circulation des patients contagieux, la nécessité de chambres seules, la taille des secteurs covid / nombre de patients, etc.

Une des grandes difficultés des SMIT est de pouvoir accueillir, au sein d'un même service, des patients contagieux potentiellement en nombre croissant, et de façon simultanée des patients immunodéprimés particulièrement fragiles. Cette problématique, si elle se posait au cas par cas avec certaines pathologies (tuberculose , varicelle…), est accrue du fait du nombre important de patients à risque aéroporté en contexte covid,qui sont prioritairement orientés vers les SMIT. De manière plus générale, cette possibilité d'avoir au sein de l'hôpital des personnes contagieuses, notamment pauci ou asymptomatiques, non diagnostiquées, qui côtoient des patients immunodéprimés ou très comorbides, pose également question et doit guider notre réflexion sur la période post-pandémique.

Il y a enfin un enjeu de formation et de procédures, sur le dépistage des patients à l'admission et lors des transferts entre unités, le maintien des gestes barrières, la nécessité sur la réduction du risque aéroporté y compris par des gestes simples comme la nécessité de fermer les portes, de diminuer les manoeuvres à risque d'aérosolisation etc. On se rend compte que, même après deux ans de covid, tous les réflexes ne sont pas acquis. Le risque aéroporté (terme plus adéquat que G ou A)  a sans doute été modifié par la pandémie covid et est à ce jour mal perçu par les différents services hospitaliers à mon sens.

L'accès accru à la vaccination (covid et autres) en milieu hospitalier pour protéger les populations comorbides est également à mon sens un réel enjeu. Nous avons, à l'occasion de la pandémie, mis en place avec la pharmacie une organisation pour les patients n'ayant pas eu accès à un schéma complet en ville, leur offrant ainsi, s'ils le souhaitaient, la possibilité de se faire vacciner lors de leur passage à l'hôpital.
Dans ce contexte, que retenir pour la construction d'un nouveau SMIT ?
La première chose à faire est de bien définir ses objectifs. Par exemple, faut-il dans chaque service de maladies infectieuses un secteur de haute densité virale (chambres avec traitement d'air ou secteurs), alors qu'il sera très vite débordé en cas de pandémie ? Comment fonctionnera ce secteur en routine, hors crise ?

Plus largement, la réflexion sur le risque épidémique doit inclure l'ensemble de l'établissement et pas seulement le SMIT : comment vont s'effectuer les orientations quand il n'y aura plus de place en SMIT ou en secteur initialement ciblé?  Comment vont circuler les patients ? Comment seront protégés les plus fragiles ? Quel sera le risque de transmission (circulation de l'air, charge virale en suspension en cas de regroupement important de patients…) au sein et entre les différentes unités ? Cela nécessite que ce risque soit envisagé dans chaque unité. Si l'on prévoit un secteur de haute densité virale, quel nombre de chambres sassées, quel personnel dédié à la surveillance, où sont prévues la salle de soins, la salle de pause, comment fonctionnent les ascenseurs… ? La modularité doit être prévue pour pouvoir organiser une montée en charge rapide avec l'ensemble des équipes, tout en gardant un secteur non contaminé pour protéger les patients non infectés.

La réflexion architecturale sur le SMIT doit donc inclure l'ensemble du circuit patient, une réflexion sur le choix des services à proximité, la possibilité d'une modularité pour faire face à tout type de crise, tout en continuant de fonctionner en routine, dans le cadre d'un échange avec l'ensemble des professionnels concernés.

Une aide à la mise en place de tels services/organisations sur le plan national est bien sur un réel plus, au vu de la complexité des tâches.